La rumeur circule dans les cimes et crée la panique sur son passage. Les hautes têtes, résignées, fléchissent déjà sous son poids. Les feuilles frémissent de peur et se collent les unes aux autres.
« Il parait qu’un monstre déboiseur va envahir la forêt » chuchote –t-elle
« Il parait qu’il va tous nous abattre » continue la rumeur
« Il parait qu’il se nourrit de notre bois et qu’il lui en faut des tonnes » insiste-t-elle
-Mais taisez-vous donc gronde le tronc, ce ne sont que des balivernes !
Les cimes se redressent et se figent sous la réprimande.
Mais c’est trop tard, les oiseaux ont saisi la rumeur au vol et la propagent à tire d’aile. Bientôt tous les animaux, ceux à plumes et ceux à poils ne parlent que du monstre déboiseur.
Le Grand Lapinou, le chef de la famille Lapins Sauvages rassemble les siens ; Le Grand Rusé, le chef de la famille Renard en fait de même ; le Gros Pig, le chef de la famille Sangliers ameute sa troupe et le Grand Boisé, le chef de la famille des Cerfs réunit sa harde. Tous les représentants à plumes, Messieurs Merle, Corbeau, Rossignol, Mesdemoiselles Mésange, Tourterelle et tous les autres, se regroupent aussi. La rumeur est prise au sérieux. Un conseil de guerre s’impose.
C’est Monsieur le Merle qui prend la parole :
« Nous ne pouvons pas nous laisser envahir par le monstre déboiseur, clame-t-il, s’il détruit les arbres, aucun d’entre nous ne survivra. Plus d’abris pour nous loger, plus de refuges pour nous cacher, plus de substances pour nous nourrir…Oublions nos différends, joignons nos forces et allons consulter le grand Sage de la forêt, Monsieur le Chêne qui saura nous guider pour déjouer cette terrible menace.
Son message est entendu et accepté. Le danger est trop grave pour ne pas agir.
La faune se met alors en mouvement. Chacun à son rythme. Les lapins sauvages battent leur record de vitesse et arrivent les premiers ; ils sont suivis de très près par les renards qui ne les lâchent pas d’une semelle ; les sangliers comme à leur habitude, font trembler la terre à leur passage et s’imposent en force, enfin, alors qu’on ne les attendait plus, le grand Boisé et sa famille apparaissent dans leur splendeur majestueuse.
Ils sont tous là, regroupés autour du grand Sage, le plus vieux Chêne de la forêt.
La famille Cumulus et Stratus, alertée par l’agitation tout à fait inhabituelle, a tenu à être présente. Zéphyrin, le petit vent et Sunny, le petit soleil mis dans la confidence par leur ami, Monsieur le Merle, se sont tout de suite précipités pour assister au grand conciliabule. L’instant est solennel. Peut-être pourront ils prêter main forte ?
Sans attendre, Monsieur le gros Pig s’exprime :
-on pourrait creuser un énorme fossé autour de la forêt…
-ce n’est pas très intelligent le coupe Monsieur le grand Rusé, vous êtes forts, c’est vrai mais le monstre pourrait le travers sans problème… en revanche, nous qui sommes plus malins, on se cacherait et on lui sauterait dessus le moment venu…
-ce n’est guère mieux remarque Monsieur le grand Boisé, nous pensons que le monstre déboiseur est très puissant et qu’il viendrait à bout de nos pauvres pièges. Il faut trouver une autre solution.
– que conseilles-tu alors ? lui demande sèchement le grand Rusé, vexé
-Je n’ai pas d’idée pour l’instant répond Monsieur le grand Boisé mais je cherche…
Le silence s’installe. Tous ruminent. L’exercice est difficile…du jamais vu ni vécu. Et pour une fois, Zéphyrin se tient coi. Il est complètement dépassé par l’ampleur du problème.
-Voyons, il doit bien y avoir un moyen…s’exclame Monsieur le Merle. Nous sommes nombreux et nous avons tous un tas de qualités. Lui, il est peut-être monstrueux, mais il est seul…
-Tu as raison lui répond Monsieur le grand Lapinou, mais nos talents sont limités, par exemple, je peux détaler vite mais je n’ai pas le pouvoir d’arrêter le monstre déboiseur.
-Oui, c’est vrai, reprend Monsieur le grand Boisé. Chacun d’entre nous avons une spécialité mais comment s’en servir contre un monstre que l’on ne connait même pas ?
La faune soupire de découragement, la flore aussi.
– Il semblerait bien qu’il n’y ait malheureusement pas de solution constate Monsieur le grand Rusé. Peut-être devrions nous nous rendre sans nous battre ?
Monsieur le grand Sage, silencieux jusque-là, s’adresse au grand Rusé :
-Grand Rusé, l’interpelle-t-il, je ne pense pas que nous devrions nous rendre aussi facilement…
-D’accord avec toi scande la foule, nous devons nous défendre répète-t-elle à l’unisson.
La clameur s’élève, assourdissante.
-Un peu de calme s’égosille Monsieur le merle. Ecoutons la suite.
-Mais que proposes tu donc, grand Sage ? insiste le grand Rusé
Le grand Sage marque un temps de réflexion avant de répondre :
-Je pensais à un bouclier géant pour protéger la forêt.
-Hourra !! Quelle merveilleuse idée ! Scande l’assemblée
Tous trépignent d’excitation et se congratulent dans un raffut monumental.
-Chût ! silence s’il vous plait, piaille à nouveau Monsieur le Merle.
Penauds, tous obtempèrent.
– Peux-tu nous expliquer comment tu t’y prendrais ? demande le grand Boisé, une fois le silence rétabli.
-On pourrait imaginer des haies de ronces géantes, rendant inaccessible notre forêt, répond le grand Sage.
-Mais le monstre déboiseur pourrait arracher les ronces rétorque le grand Lapinou
-Alors, elles repousseraient encore plus vite, plus fortes et plus dangereuses que les précédentes assure le grand Sage
-Et comment faire pour construire un tel bouclier ? demande le grand Pig
-Eh bien, nous aurions besoin de l’aide de la famille Stratus et Cumulus et de Sunny explique le grand Sage, si bien sûr, ils sont volontaires pour nous aider.
-nous sommes partants et honorés clament Stratus et Cumulus. Nous verserons toutes les larmes de notre corps pour fertiliser la terre et faire pousser des ronces extraordinaires.
Sunny très attentif, les rayons croisés sur un bout de nuage, sursaute de plaisir en entendant le grand Sage :
– Comptes sur moi grand Sage, j’enverrai mes rayons chauffer la terre et accélérer la croissance des pousses, assure-t-il
-Et moi aussi rajoute Zéphyrin, qui ne veut pas être en reste, je soufflerai de toutes mes forces pour les stimuler.
-Et bien voilà les amis, nous avons notre solution ! conclue le grand Sage. N’oubliez pas qu’il ne s’agit que d’une rumeur mais si la menace se concrétisait, nous saurions nous défendre.
Un tonnerre d’applaudissements conclue l’issue du conseil de guerre.
La faune se détend, la flore aussi, buissons et brindilles se relâchent. Les mammifères retournent vers leurs royaumes respectifs ; Le grand Lapinou se rappelle soudain qu’il lui faut détaler au plus vite s’il ne veut pas être rejoints par le grand Rusé !… La vie reprend… comme avant.
Et si le monstre déboiseur décidait d’envahir la forêt, as-tu une idée du vainqueur ?