Dis, c’était comment avant?!

Des histoires du temps jadis

Dis, c’était comment avant?!

Juliette est arrivée hier à la Ferme de Jean. C’est une adolescente de seize ans qui vit à Paris avec ses parents et dont la vie est un peu compliquée en ce moment. Anastasia lui a proposé de venir quelques jours à la campagne. Juliette a accepté avec enthousiasme car elle adore passer du temps avec elle.

La « campagne » d’Anastasia, c’est une ancienne ferme en centre Bretagne qui appartient à sa famille depuis des générations. Après rénovation, l’endroit est devenu une résidence de vacances très agréable.

Juliette à l’habitude de s’y rendre. La ferme l’a toujours attirée et intriguée. Dès qu’elle y séjourne, les préoccupations de la ville s’effacent ou paraissent si insignifiantes qu’elle les oublie. Là, elle se sent bien et s’occupe à désherber la cour ou à farfouiller dans les dépendances dans l’espoir de dégotter de vieux objets pour les remettre au goût du jour, tout comme le fait Anastasia !

Comment était cette maison autrefois ? Avait-elle la même allure ? Quelle était la vie de ses habitants au quotidien, sans télé, ni internet ? Quels étaient leurs loisirs ? Où étaient les animaux ? …Ces vacances, c’est l’occasion rêvée : elle a Anastasia pour elle toute seule ! Et comme Anastasia est passionnée par la vie de ses ancêtres, ce sera un jeu d’enfant que de la faire parler !

Comme prévu, Anastasia ne se fait pas prier et lui propose même un petit jeu !
– Oublions que nous sommes en 2021.
– D’accord lui répond Juliette, enthousiaste
– Ferme les yeux, reprend-elle. Respire profondément. C’est bon pour toi ?
Juliette opine du bonnet.
-Nous allons prendre la machine à remonter le temps et nous arrêter en 1950.
-Cool répond Juliette, j’y suis, enfin je pense ! Tu étais née ? lui demande-t-elle, curieuse
-Non ! lui répond Anastasia en riant, je ne suis pas si vieille que ça !! On m’a raconté comment c’était et lorsque enfant je venais, les choses n’avaient pas changé. C’est parti ! Tu me suis? 

La visite guidée
-Tu vois, lui montre-t-elle, à ta droite sur la terrasse avant d’entrer dans la maison, il y avait un puits. On ne le voit plus mais il existe toujours sous la dalle. A cette époque il était vital d’avoir un accès rapide à l’eau puisque l’eau courante, tu t’en doutes, n’existait pas- cette eau, donc, servait à tout faire, préparer la nourriture, se laver, donner à boire aux bêtes. Il fallait juste qu’ils la remontent plusieurs fois par jour dans des sceaux grâce aux poulies. Cela nécessitait du muscle et de la patience !
– Je ne m’imagine pas vivre sans eau courante, commente Juliette, c’est tellement facile d’ouvrir le robinet….
-oui, je te l’accorde, lui répond Anastasia ; On oublie souvent que c’est un luxe !
– Entrons maintenant !
La pièce à vivre, vaste, agréable et lumineuse s’offre à elles.
-Il va te falloir faire preuve d’imagination, la prévient Anastasia.
-pas de problème ! Juliette est excitée. Ce jeu lui plait vraiment.
-Tout d’abord, la fenêtre qui donne sur le jardin n’existait pas. Le pan de mur face à toi était divisé en trois parties : au milieu une énorme armoire bretonne qui servait de rangement et de part et autre, un lit de deux personnes, monté sur une petite estrade. Un des lits était occupé par les grands-parents ; l’autre par leurs enfants.
-Tout le monde dormait dans la même pièce ? s’exclame Juliette choquée.
-Oui, pas le choix. Tout se passait dans une seule et unique pièce. Plus simple, plus économique. Souvent les enfants étaient réveillés par la voix des adultes qui prenaient leur petit déjeuner ou des voisins qui passaient dire bonjour.
Juliette a du mal à se projeter. Elle ne se voit pas du tout dormir dans la même pièce que ses parents…et encore moins dans la cuisine.
Anastasia reprend ses commentaires.
– à tes pieds, au lieu de ce joli carrelage, un plancher parfois mal ajusté. Il était posé sur la terre battue. La maitresse de maison devait balayer à longueur de temps car la poussière s’invitait facilement.
– Ils n’avaient pas d’aspirateur plaisante Juliette ! Je suppose que l’électricité n’était pas encore arrivée.
-Détrompes toi. L’électricité était bien là mais depuis peu, c’est vrai. Il y avait juste une ampoule qui pendait du plafond et qui éclairait très mal. Ils continuaient d’utiliser les lampes à pétrole.
– eh bien ! pas d’eau, presque pas de lumière… ce devait être le bagne !! s’exclame Juliette
Anastasia hausse les épaules
-non, ils vivaient comme leurs parents et ils n’avaient pas d’autres points de comparaison.
Elle reprend sa description.
-A gauche, dans l’espace cuisine, à la place de la petite cheminée rouge, c’est une grande cheminée spacieuse qui occupait toute la largeur ; c’était l’endroit le plus important de la maison. Le foyer. D’abord il y faisait toujours chaud et on y cuisinait. Il y avait un tas de choses dans cette cheminée. Des saucisses sèches, par exemple, qui pendaient quand le cochon venait d’être tué ; il pouvait y avoir du linge à sécher ; le chaudron tenait bien sa place aussi, toujours prêt à chauffer ou réchauffer l’eau. Ils y faisaient cuire les galettes de sarrazin, griller les marrons, et tout ce qui pouvait griller. La maitresse de maison n’hésitait pas à s’assoir sur la pierre pour moudre et préparer son café. Et le soir, ils s’y installaient pour les veillées.
– donc la cuisine c’était la cheminée ? en conclue Juliette
– oui, c’est ça. Il n’y avait pas de fourneau. Les repas étaient faits dans la cheminée.
Juliette reste silencieuse.
– Parviens-tu à te faire une idée plus précise de la ferme autrefois lui demande Anastasia
– oui, parfaitement bien. C’est juste que tout me semble tellement rébarbatif.
Anastasia éclate de rire.
-il ne faut pas le voir ainsi. C’était leur vie, dans cette région, à cette époque.
Elle reprend :
-A la place de l’ilot, imagine une énorme table de campagne occupant l’espace. Deux bancs longs et étroits pour s’y assoir. Pas très confortable. Rien à voir avec les chaises moelleuses et ergonomiques que nous avons ! D’ailleurs, les gens ne restaient jamais assis très longtemps. En plus la table avait des pans de chaque côté ce qui rendaient très incommode la position assise face à son assiette.
Anastasia reste silencieuse le temps de laisser Juliette digérer les informations.
– cette pièce était sombre, reprend-elle contrairement à ce qu’elle est devenue aujourd’hui ; elle avait une seule et unique fenêtre, celle qui donne sur la cour. C’est pour ça d’ailleurs qu’ils laissaient la porte d’entrée ouverte.
-Tout le temps ? s’étonne Juliette
– Pratiquement. Cette porte ressemblait à une porte de saloon ! : en partie haute, un volet et une demie-porte en bas. Malgré cette particularité, ils la laissaient toujours grande ouverte ; chiens et poules pouvaient y rentrer sans problème, parfois même, il parait qu’une chèvre leur rendait visite ! 
Juliette est mitigée sur la porte à deux pans. Originale, c’est sûr mais pas sécurisante du tout ! Quant aux visites surprises des amis la basse-cour, non merci, pas pour elle !
Anastasia reprend :
-A la place du réfrigérateur, un énorme miroir. Le grand père s’en servait pour observer les étapes de son rasage et la grand-mère pour ajuster son chignon.
-Un peu sommaire pour se faire une beauté remarque Juliette en pensant à sa salle de bain ultra équipée avec ses miroirs de plain-pied. Et la mode, alors ? s’écrie-t-elle soudain. A peine les mots étaient-ils sortis qu’elle se mord les lèvres. Quelle question saugrenue !
-Je ne pense pas que ce mot fasse partie de leur vocabulaire, ni de leur préoccupation !  Lui répond Anastasia en souriant. Pas de maquillage, pas de mode… cela manque de couleur pour toi, n’est-ce pas ?
Juliette baisse les yeux, un peu gênée.

Un petit tour dans la « réserve »
-On continue ? lui demande Anastasia
-oui, s’il te plait !
-A ta droite en arrivant, à la place du canapé, il y avait une cloison qui séparaient cette pièce d’une autre, plus petite, notre espace salon aujourd’hui. A l’époque, cet endroit servait de débarras. Il y avait une deuxième cheminée sur la largeur de la maison, à la place de celle que tu vois dans le salon et la fenêtre est la même.
Dans cette pièce, on y rangeait un tas de choses. La baratte pour faire le beurre. Un garde-manger pour conserver les aliments à l’abri des mouches et autres insectes On y pétrissait le pain dans un pétrin ou dans une maie (c’est un grand coffre en bois). Les autres victuailles comme les morceaux de porc, étaient entreposés dans des jarres avec du gros sel ; ces jarres, sont l’équivalent de notre frigo-congélo ; grâce au sel, elles conservaient les aliments sur une année sans problème.
Juliette fait une moue de dégoût.
– Je pense que je n’aurai pas pu avaler quoique ce soit provenant de ces jarres, confirme-t-elle.
– à l’époque, c’était la normalité lui répond Anastasia ; personne ne tombait malade pour avoir consommer des aliments conservés dans les jarres, et c’était bien pratique.
– oui mais tout de même ! Quelle alimentation ! s’écrie Juliette, on est loin d’une nourriture équilibrée et variée.
-oui, c’est vrai. Ils consommaient ce qu’ils produisaient et l’objectif était surtout de manger à sa faim lui répond Anastasia.
Juliette ne semble pas convaincue.
-on poursuit ? lui demande Anastasia
-bien sûr !
-Dans cette même pièce, il y avait un escalier qui permettait d’accéder au grenier, là-même où se trouve ta chambre aujourd’hui ! Ce vaste espace sans cloison à l’époque était utilisé pour entreposer les grains et les sacs de farine qu’ils engrangeaient par les fenêtres en grimpant sur une échelle. Cet escalier a été supprimé. Celui que tu prends pour monter dans ta chambre n’est pas au même emplacement.
Juliette est silencieuse, concentrée sur les images évoquées par Anastasia.
-Tu cherches peut-être les toilettes ? lui demande Anastasia anticipant ses questions. Il n’y en avait pas ! Ils faisaient leurs besoins dehors, dans le jardin…qui n’était pas un jardin d’agrément mais un jardin potager.
Juliette est choquée. Pas de toilette !! impensable. Et-Et l’hiver, comment faisaient-ils ?
-Pareil ! Dehors ! Tu sais, lui répond Anastasia, leur vie n’était pas douce et simple. Pour la salle de bain, tu as compris qu’il n’y en avait pas bien sûr ! Ils faisaient bouillir l’eau tirée du puits dans le chaudron et la versait dans un seau. Ils se lavaient près de la cheminée.
-Ils se lavaient souvent ? demande Juliette, curieuse, parce que moi, honnêtement je ne me serai pas lavée du tout !
-Peut-être une fois par semaine répond Anastasia mais je suis certaine qu’à l’époque tu aurais fait comme tout le monde…
-j’en doute ! lui répond Juliette

Les dépendances
-Aujourd’hui, quand tu séjournes à la ferme de Jean, tu profites du silence et du calme. En 1950, c’était très animé. Les chiens se donnaient la réplique, les coqs chantaient tôt le matin, les cochons, dans la porcherie, au bout dans la dernière dépendance, grognaient. Les chevaux hennissaient en donnant des ruades, et les troupeaux de vaches traversaient la cour pour aller paitre dans les champs voisins ou pour rentrer à l’étable à l’heure de la traite ; les paysans s’interpellaient à voix haute et n’hésitaient pas à tenir conversation au milieu de la cour !
Juliette ferme les yeux et à son grand ravissement, la cour prend couleur et son !
-les animaux logeaient où ? demande-t-elle par curiosité
-Chacun avait son habitat. L’écurie, à côté de la grange était occupée par leurs deux chevaux de trait, explique Anastasia ; les vaches -il y en avait une quinzaine- occupaient l’étable qui se trouve dans une des dépendances, sur ta droite. Et cela va peut-être te paraitre bizarre, mais tous les animaux avaient un prénom !
-Cela faisait une grande famille alors ?! s’exclame Juliette en riant
-oui, tout le monde avait son importance, les hommes comme les bêtes !
Anastasia reprend sa description.
-il y avait aussi un poulailler, à droite de l’écurie et des clapiers. Maintenant, tu sais absolument tout !
Anastasia laisse Juliette visionner la cour de ferme et ses habitant à quatre pattes.
Elle reprend.
-Attenantes à la maison d’habitation, comme tu vois, il y avait trois dépendances : une porcherie, une étable et un local cimenté pour entreposer les tonneaux de cidre et les fameuses jarres. Ces dépendances, ont été transformées au fil du temps en une seconde résidence très confortable.

Et la fête dans tout ça ?
-Incroyable tout de même ne cesse de répéter Juliette. Je ne sais pas si j’aurai aimé vivre à cette époque-là. Beaucoup de boulot ; pas de confort, pas d’intimité. … pas de réseaux sociaux ! Et les loisirs… c’était quoi au fait ?
– Encore un mot qui ne devait pas faire partie de leur vocabulaire ! s’esclaffe Anastasia. Il y avait toujours beaucoup de travail, C’est une ferme, ne l’oublie pas ; mais ils savaient s’amuser, c’est sûr !
-mais comment ?
-les festnoz, les bals du samedi, les veillées, les fêtes, les mariages, la messe le dimanche,
-pas très sexy tout ça répond Juliette, j’aurai dépéri dans cet univers !
-A chaque époque, son charme lui répond Anastasia. Leur vie était dure et ingrate, mais je pense qu’ils étaient heureux : la satisfaction d’un champ labouré, de grains engrangés pour l’hiver, de bêtes en bonne santé, par exemple. Les confidences autour du lavoir, ou du four à pain. Tout était prétexte à se retrouver pour fêter. Leur vie était basée sur la solidarité, seul moyen pour s’en sortir. En résumé, beaucoup de partage à chacune des étapes de leur vie.
-Quelle drôle d’existence tout de même, commente Juliette. Merci Anastasia, ton voyage était très intéressant. J’ai l’impression d’avoir fait une incursion dans autre univers ! Maintenant, j’ai une image précise de la maison telle qu’elle était « avant » et de son extraordinaire transformation. C’est peut-être pour ça que je m’y sens si bien ?! Elle a une âme et elle est faite pour survivre.

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