Chaque matin à son réveil, Zéphyrin virevolte avec délice dans l’herbe fraiche et sème une jolie pagaille en caressant les jeunes pousses de son souffle léger ; elles frémissent de joie et fléchissent sur son passage pour lui offrir un merveilleux tapis moelleux ou il peut s’enrouler et s’entortiller jusqu’à plus soif. Quand il se lasse du jeu, il se propulse à la cime des arbres pour naviguer à grande altitude et se perdre dans la beauté des couleurs de la terre. C’est son rituel de mise en forme et Il en raffole !
Mais ce matin quelque chose cloche. L’herbe le pique et le mord de milles petites dents au lieu de le caresser et de l’inviter à jouer et les taillis claquent sur son passage comme des coups de fusil à répétition. La végétation serait-elle devenue son ennemie ?
Il scrute son espace de récréation et se demande s’il ne fait pas l’objet d’une hallucination. Ses yeux ahuris découvrent une terre craquelée recouverte de jaune, d’orange et même de roux.
Mais en quelle saison sommes-nous ? se demande-t-il perplexe.
Nous sommes bien au mois de mai, le joli mois du printemps où tout renait. Il adore cette période car elle est enveloppée de douceurs et de belles surprises. … La végétation se serait-elle trompée de date ? ou bien fait elle l’objet d’un mauvais sort ? Zéphyrin à beau chercher, il ne retrouve plus ses verts tendres. Hier ils étaient là… et aujourd’hui, bel et bien disparus….
Sidéré, il tourbillonne comme un petit fou, essayant de trouver une réponse. En vain.
Privé de son jeu préféré et désemparé, il décide de se réfugier auprès de son ami, Sunny, le petit soleil, qui saura le réconforter et qui a peut-être la clé de ce mystère désolant. En un gros prout d’air, il le rejoint rapidement.
Sunny, inquiet de voir son ami si bouleversé, écoute attentivement son récit entrecoupé de gros soupirs.
-Je ne comprends pas ce qui se passe répète inlassablement Zéphyrin, Pourquoi mes couleurs ont elles changé ? Pourquoi le printemps s’est-il évaporé ?
– Je me suis posé la même question lui répond posément Sunny et j’ai tout de suite soumis mes rayons à un examen complet. Tout va bien. Ils sont en excellente santé et leur flexibilité de chauffe varie de 0 à 100. Mais, tout comme toi, je suis très inquiet.
-Sais-tu pourquoi tout est aussi sec ? Insiste Zéphyrin malheureux.
Sunny reste songeur un instant avant de lui répondre.
-Te souviens-tu de la dernière apparition de la famille Stratus et Cumulus ?
-Oui elle est mémorable car je me suis fait tremper comme jamais, répond Zéphyrin en souriant mais c’était trop drôle de voir toutes les feuilles brillantes dégouliner de larmes… et puis ce beau pont magique que tu avais créé et que je voulais enjamber mais sans y parvenir… Zéphyrin se perd en rêverie.
-Cela fait donc très longtemps que nous ne les avons vus… pense Sunny à haute voix
-Tu crois qu’ils ont disparu ? S’inquiète Zéphyrin, tout est si étrange en ce moment…
-Je ne sais pas où ils sont mais ils ont sûrement une idée qui nous aiderait à résoudre notre mystère, répond Sunny
-Alors, allons donc leur demander, propose Zéphyrin.
Les deux amis partent en quête de la famille Stratus et Cumulus. Ils ont beau circuler, aucune trace visible. Le firmament reste d’un bleu uniforme. Alors qu’ils désespèrent et que le jour décline, Sunny repère un petit morceau de ciel assombri.
-Regarde, ceux sont eux s’écrit-il
Excités, ils se propulsent auprès de leurs amis qui sont aussi surpris que ravis de les voir.
-Bienvenue parmi nous leur crie Stratus en dépliant ses boules cotonneuses.
-Quel bonheur de vous voir, répond Sunny, vous nous manquez. Tout va bien pour vous ?
Entre temps, Cumulus avait rejoint Stratus. Ils se concertent un instant, puis Cumuls prend la parole :
-En fait, nous avions disparu de votre horizon car nous avons un petit problème… avoue-t-il
Sunny et Zéphyrin, soucieux, attendent la suite avec appréhension.
-Il nous est de plus en plus difficile de pleurer, cela nous épuise.
Les deux amis écoutent avec consternation.
-Et que dit votre docteur ?
-Notre docteur est impuissant car il n’a jamais eu à soigner un tel cas.
Sunny et Zéphyrin restent sans voix.
-En plus, reprend Cumulus, la rumeur court que Madame la Pluie est très fâchée.
-Pourquoi est-elle fâchée demande Sunny, reprenant ses esprits
-Il semblerait que les peuplades actuelles abusent, répond Stratus. Nous n’en savons pas plus. Mais c’est pour cette raison qu’il est très compliqué de faire venir Madame la Pluie. Et quand elle vient, elle déverse sa colère avec force.
-Nous sommes dévastés d’apprendre cela, s’exclame Zéphyrin, je comprends mieux maintenant ce terrible chaos.
-Cela m’accable et me désespère dit Sunny. Que pouvons-nous faire ?
-Il n’y a pas de remède, répondent Stratus et Cumulus.
Le silence est lourd de tristesse.
-Il faudrait que Madame la Pluie oublie sa colère et vienne vous prêter main forte, insiste Zéphyrin, la nature est devenue si méconnaissable, nos belles couleurs n’existent plus…
-Nous le savons soupire Cumulus et cela nous chagrine ; notre amie la terre se ride et se craquèle chaque jour davantage et bientôt elle ne sera plus fertile du tout ; elle a absolument besoin de boire, et de boire régulièrement.
-Qu’allons-nous faire alors ? redemande Sunny
-Nous avons réfléchi et avons décidé de nous entrainer à provoquer nos larmes pour que Madame La pluie revienne. Nous ferons l’exercice tous les matins, nous aurons ainsi le temps de nous reposer…
– Bravo pour votre initiative dit Sunny
Soudain, sans signe avant-coureur, l’atmosphère s’obscurcit et les premières larmes tombent.
-hourrah !! youpi ! s’exclament-ils tous en cœur.
Zéphyrin en tournoie de joie sur lui-même au point de s’en étourdir ; encore vacillant, il se plante devant Stratus et Cumulus et leur annonce d’un ton solennel sa décision :
-Je m’engage à faire la danse du bâton de pluie chaque matin…
Stratus et Cumulus, surpris par une telle déclaration, sont pris d’un violent fou rire qui fait tressauter leurs boules cotonneuses. Leurs éclats de rire résonnent dans l’immensité comme un joyeux tamtam. Sunny, de son côté, ne peut s’empêcher de claquer ses rayons de joie à l’idée saugrenue de son ami.
-Désolés Zéphyrin, s’excusent Stratus et Cumulus entre deux éclats de rire, mais tu es trop drôle. Cela fait si longtemps que nous n’avions tant ri et cela fait un bien fou !
-Vous ne me croyez pas ? demande Zéphyrin, un peu vexé.
-Tu penses vraiment que ta danse fera revenir Madame la Pluie ? demande Stratus, en hoquetant.
-Mais bien sûr ! s’exclame Zéphyrin avec conviction ; jadis les peuplades invoquaient la déesse de la pluie pour qu’elle abreuve leur terre nourricière. Ils dansaient avec un bâton toute une nuit. Et le lendemain, leurs vœux étaient exaucés. C’est ce que je vais faire, mais seulement le matin ! je m’y engage !
-Merci lui répondent Stratus et Cumuls redevenus presque sérieux
-Et moi, ajoute Sunny, calmé, je veillerai à maintenir mes rayons à très basse température.
-Merci chers amis pour vos promesses et vos efforts ; tous ensemble nous parviendrons peut-être à reprendre le fil des saisons et à redonner vie à cette belle terre qui ne mérite pas une telle fin.
Sur ces mots d’espoir, ils déploient leur magnifique couverture cotonneuse en geste d’au revoir et de gratitude, mais déjà Sunny et Zéphyrin, tombant de sommeil, ont presque disparu de l’horizon.
Pendant ce temps, tout doucement, presque incognito, Madame la Pluie s’invite pour la nuit…