Le vieux Chêne frémit de bonheur jusqu’au bout du bout de ses racines… C’est la fête chez lui ! Son abondant feuillage s’agite doucement au passage de ses petits pensionnaires à plumes. Dynamiques et joyeux, ceux-ci sautillent gaiement de branches en branches et s’éparpillent, même sur ses ramilles les plus fragiles. Mais Il est solide, le vieux Chêne.
Ses racines, profondément ancrées sous la terre, lui donnent la force de rester si droit et d’arborer une luxuriante chevelure verte. A son âge canonique, il en a vu défiler des tempêtes mais il n’a jamais fléchi sous leurs bourrasques. Aujourd’hui, il se plait à abriter ses jeunes amis et à observer leurs jeux et leurs amours. Les nids, bien cachés au plus profond de son espace, ne se comptent plus.
Monsieur le rossignol est arrivé tôt ce matin. Il est petit c’est vrai mais c’est un chanteur hors pair. Sa magnifique mélodie couvre les piailleries de ces deux moineaux qui se disputent déjà.
Monsieur le Geai, son compagnon de branche, le regarde en coin… Il a fallu qu’il se pousse pour lui laisser un peu de place. Il n’aime pas trop cela, mais tant qu’il chante, ça va !
Monsieur le Corbeau, arrivé depuis quelques jours déjà, est très discret dans son somptueux smoking noir bleuté. Immobile à son poste, là-haut, à la cime, il observe patiemment les environs et se propulsera en quête de nourriture dès qu’il jugera le moment opportun.
Mesdemoiselles les tourterelles roucoulent à n’en plus finir et le vieux Chêne n’en peux plus de les entendre tant leur chant est monocorde. Heureusement que Monsieur le Rossignol sauve la situation !
Mesdames les hirondelles ont entamé leurs ballets acrobatiques, Il leur faut bien trouver de quoi nourrir leurs nichées mais elles ne sont pas les seules. Mesdames les pies les imitent et se sont mises elles aussi, à tourner, à virer, et à se poser avec leur butin avant de repartir. Ouf, Elles viennent juste d’éviter une collision, constate le vieux Chêne soulagé… Il y a de la place pour tout le monde, tout de même !
-Au voleur ! Rends-moi mes moucherons… ! Madame L’hirondelle crie sa colère à Madame la pie qui vient de faire « main basse » sur ses réserves ….
-Va-t’en voleuse, piaillent de concert Messieurs les Merles et Mesdemoiselles les Tourterelles en la pourchassant. Pas de voleurs parmi nous, crient-ils.
Un combat s’engage. Aïe, des plumes volent…
Sans demander son reste, Madame la pie s’enfuie, son butin dans le bec. Elle a l’habitude. Elle ira squatter le bel orme, un peu plus loin. Le calme revient enfin sur le vieux Chêne. Monsieur le Rossignol, imperturbable, chante. Son répertoire est vaste.
– Monsieur le Pic-vert ! s’exclame soudain le vieux Chêne ravi. Bienvenue ! Il y avait si longtemps que je ne t’avais vu. Je te prête volontiers un morceau de mon tronc pour que tu puisses taper à ton aise, lui dit-il.
Honoré par cette distinction, Monsieur le Pic vert tout intimidé, ne se le fait pas dire deux fois et se met à l’œuvre.
La journée a été riche en émotions. Le vieux Chêne s’imprègne de la quiétude de la forêt qui se prépare pour la nuit. Ses pensionnaires se sont endormis et le crépuscule enveloppe de velours la végétation la rendant encore plus mystérieuse. Les chouettes se réveillent et hululent. C’est leur heure.
Il sent sa sève remonter de ses racines et le fortifier. Son feuillage respire. Son énergie se régénère.
Tous ses amis et confrères qui l’entourent depuis toujours, peupliers, ormes, hêtres, châtaigniers, sapins et tous les autres, laissent éclater leur bonheur en ce début de soirée. Ils ont tant vibré au contact de leurs amis à plumes qu’ils se sentent revivifiés.
Alors que le vieux Chêne s’apprête comme tous les soirs, à prendre de leurs nouvelles et à commenter sa journée, ses feuilles se froissent inexplicablement et c’est Zéphyrin, le petit vent, qui se dresse inopinément devant lui.
-Bonsoir Zéphyrin. Tout va bien ? lui demande-t-il, inquiet de le voir apparaitre. Il est un peu tard pour se promener tout seul dans la forêt.
-Bonsoir Vieux Chêne. J’avais une insomnie lui répond Zéphyrin. Une question me taraude et m’empêche de dormir ; je me suis dit que je viendrai te voir pour que tu m’aides.
-Eh bien je suis là, à ton service lui répond le vieux Chêne, curieux de sa requête.
-Voilà, commence Zéphyrin, il parait que tu as un secret…
-Ah, ravi de l’apprendre, l’interrompt le vieux Chêne en riant.
-C’est pourtant ce qu’on m’a assuré et mes sources sont sûres répond Zéphyrin…
-Saches que si j’ai un secret, je ne pourrai le dévoiler, explique le vieux Chêne. Un secret c’est un secret.
-mais j’aimerai connaitre ton secret s’entête Zéphyrin.
Zéphyrin est très curieux par nature et dès qu’il a vent d’un secret, il met tout en œuvre pour percer le mystère. Il a besoin de savoir.
Le vieux Chêne soupire. Ce jeune Zéphyrin…il ne manque pas d’air se dit-il, mais sa fraicheur crédule me touche.
-je te trouve bien curieux ! lui répond-il pétillant de malice, tu me promets de ne rien dire ? Il était de notoriété publique que Zéphyrin ne savait garder aucun secret.
-Oui, tu as ma parole l’assure Zéphyrin de bonne foi.
-Eh bien, mon secret, puisqu’ON pense que j’ai un secret…c’est…. que …. Le vieux Chêne ménage son effet et marque un temps de silence.
Zéphyrin trépigne, il brule d’impatience.
-Je t’écoute vieux Chêne.
-C’est… que… je n’ai pas de secret… confie le vieux Chêne à voix basse.
Zéphyrin est abasourdi.
-Mais ce n’est pas possible…. On m’a dit que tu en avais un !
Le vieux Chêne éclate à nouveau de rire.
-On t’a mal renseigné… Il ne faut pas toujours croire ce que l’on te dit s’amuse-t-il.
La mine dépitée de Zéphyrin lui fait presque de la peine.
-Mais je ne comprends pas bégaie-t-il.
-Le monde végétal en général et nous les arbres, en particulier, nous n’avons aucun secret les uns pour les autres, lui explique gentiment le vieux Chêne. Nous savons tout, nous communiquons entre nous, nous nous soutenons …. Tu vois, il n’y a pas de secret, mais c’est ça, le secret.
Zéphyrin reste figé de déception. Il s’attendait à un vrai secret… un scoop, quoi ! Mortifié et se sentant ridicule, il disparait en un clin d’œil sans même un semblant d’au-revoir au vieux Chêne…comme s’il voulait effacer son intervention, mais peut-être est-il en train de rêver ?
Demain, il viendra s’excuser… et le vieux Chêne aura possiblement tout oublié ?!
Celui-ci, encore amusé par la requête inattendue de son petit visiteur reprend sa méditation nocturne et se connecte à la forêt. La nuit sera aussi riche que le jour.