Des éclats de rire légers et cristallins cascadent et ricochent dans le fond de la vallée ; ils vibrent en ondes joyeuses et contagieuses dans l’atmosphère en absorbant tous les autres bruits. La vallée entière résonne de joie. Impossible d’y résister !
Zéphyrin fraîchement levé se surprend à rire sans raison.
-Que ce passe-t-il ce matin ? Se demande-t-il perplexe mais fortement amusé. Habituellement il exprime sa joie d’une façon plus modérée.
-Qui rit ainsi ? crie-t-il ente deux hoquets de rire.
-Moi ! répond une jolie voix douce.
-Mais qui es-tu ? Je ne te vois pas !
-Regarde en bas, sur terre.
-Je ne te vois toujours pas…
-Je suis dans mon lit ! insiste la voix.
Zéphyrin est interloqué.
-Dans ton lit ?!!
-Vois-tu ce beau serpentin entre les arbres ? lui demande la voix.
-Oui, tu veux dire le ruban sinueux et chaotique qui coupe la forêt en deux ?
-C’est ça !
Zéphyrin s’empresse de se rapprocher le plus possible du serpentin.
-C’est toi, le serpentin ?
-Le serpentin, c’est mon lit ! moi, je coule, je courre, je rebondis sur les rochers et les rocailles, et je chante à tue-tête.
-Mais qui es-tu ? demande Zéphyrin.
-Je m’appelle Yvette répond la rivière et toi, tu es Zéphyrin le petit vent, je te connais…
Zéphyrin est flatté d’être ainsi reconnu.
-Pourquoi es-tu si joyeuse aujourd’hui lui demande-t-il, curieux ; je ne t’avais jamais entendue auparavant.
-Parce que je revis ! s’exclame Yvette, regarde comme mon eau est claire, vive et profonde.
-Et ce n’est pas tout le temps comme ça ?
-Non, malheureusement, lui répond Yvette attristée. La semaine dernière, lui confie-t-elle, j’étais sous mon lit. C’était horrible, je me sentais si seule, si triste… Figure-toi qu’on pouvait même me marcher dessus. Plus une seule goutte d’eau… C’était comme si je n’existais plus.
Zéphyrin est très attentif.
-Qu’avais-tu fait pour que tu te mettre dans un tel état ?
-Moi, rien, mais l’eau s’était évaporée. Peut-être un coup du mauvais sort ? ou un manque de chance ? Ce que je sais, c’est que tous les éléments néfastes s’étaient regroupés…il faisait beaucoup trop chaud et Madame la Pluie était partie pour un grand voyage.
Zéphyrin est consterné.
-Es-tu restée longtemps sous ton lit ?
-trop longtemps à mon goût… lui répond Yvette, chagrinée
Zéphyrin reste silencieux, peinant à s’imaginer coincé sous un lit…
-Et que s’est-il passé pour que tu retrouves ton eau ?
-Madame la pluie est revenue finalement et elle s’est installée des jours et des jours durant jusqu’à ce que mon lit soit à nouveau à flot… maintenant je peux y dormir et surtout je peux à nouveau recevoir des visites ! Elles me manquaient tant ces visites.
-Qui vient te voir ? demande Zéphyrin toujours très curieux.
-Mesdames les biches, elles sont là tous les matins, elles se rafraichissent et discutent de leur famille ; j’ai aussi la visite de Messieurs les grands rusés…, tu sais, les beaux renards roux si malins, eux, ils boivent à grandes goulées, ça leur donne des forces. Les papillons font toujours un détour pour me saluer. Ils sont si légers, si gentils et si beaux avec leurs ailes multicolores que je ne me lasse pas de jouer avec eux en les saupoudrant de gouttelettes…Mesdemoiselles les abeilles sont des habituées, elles me disent que grâce à mon eau, leur miel est délicieux. Sans compter que je fais aussi le bonheur des petites grenouilles et des poules d’eau…
-Puis-je prendre un bain ? demande Zéphyrin de but en blanc, attiré par l’eau vive et claire. Il se trémousse d’anticipation.
-Mais bien sûr ! c’est un honneur pour moi, lui répond Yvette, fière de son intérêt.
Zéphyrin plonge avec grâce dans la rivière mais saisi par l’eau froide, il suffoque et se redresse brusquement comme s’il recevait une grosse claque gelée ! Il ne s’y attendait pas du tout ! Oubliée sa grâce ! maladroit, il se démène alors comme un petit diable pour se réchauffer. Les vaguelettes d’Yvette se transforment en grosses vagues qui se jettent loin sur la berge, arrosant tout ce qui se trouve sur leur passage. Comme un mammouth dans une flaque d’eau, Zéphyrin occupe magistralement la largeur du cours d’eau, soufflant une mini tempête tout en riant à gorge déployée.
Mesdames les biches, Messieurs les renards et Messieurs les sangliers venus se rafraichir se figent devant un spectacle aussi inattendu. Depuis que l’eau était revenue par miracle, ils prenaient plaisir à rendre visite à Yvette plusieurs fois par jour, soulagés et heureux. Il faut reconnaitre que leur situation commençait à devenir dramatique : comment vivre sans eau ? Ils n’avaient pas trouvé de réponse.
Sans se concerter, et attirés par les facéties de Zéphyrin, ils se jettent tous dans la rivière et s’amusent comme s’ils étaient de bons copains…
Ils fêtent le retour de l’eau salvatrice et la joie de la partager.
La vie reprend…aussi joyeuse et belle qu’avant.
Mademoiselle Yvette n’en finit plus de cascader de rire….