Un lutin pour le Brésil

Autour de la machine à café

Un lutin pour le Brésil

Licia, un peu essoufflée, mais l’œil vif et les cheveux en bataille comme à son habitude, surgit comme un diablotin dans le bureau d’Eva et de Laure,

– Salut les filles ! … dites, auriez-vous un lutin à me prêter ?
Eva et Laure, concentrées sur leurs écrans, sursautent au son de sa voix. Elles la dévisagent sans comprendre.

-un lutin ?  C’est quoi ce truc ? se demande Laure, nouvelle recrue.
Une blague ?!… En tout cas, je ne vois pas.
Prudente, elle se tait, c’est quand même l’assistante du patron…

Devant leur silence et inconsciente de leurs regards ébahis, Licia se sent obligée de développer le sens de sa question :

– Alain a besoin d’un lutin pour son voyage au Brésil et je ne retrouve pas les miens.

De mieux en mieux se dit Laure. Alain est le Président Directeur Général… et il a besoin d’un lutin ?!! Pour le Brésil…

Réflexion faite, j’ai bien fait de ne pas postuler au service de la Direction Générale, ils ont l’air … originaux…

-je me demande, s’exclame Eva moqueuse, si tu n’aurais pas un peu « fumé la moquette » ?

Eva et Licia, deux personnalités aux antipodes l’une de l’autre ; l’une posée, rationnelle, rigide, l’autre, fantasque, un brin farfelue, prête à rire de tout et sur tout.

– pourquoi me dis-tu ça ? lui demande Licia, sur la défensive.

-Ma maman me racontait souvent des histoires de Lutin. C’est un petit bonhomme tout vert, bougeottant et un peu magique.

Tu m’excuseras, mais j’ai du mal à voir ce qu’Alain fait avec un lutin., lui répond Eva, les sourcils en chapeau chinois

Alain est un Monsieur à la soixantaine bien marquée au discours orienté Profit, Ebit, Marges, Capex. Il est reconnu par ses pairs pour ses compétences de meneurs d’hommes et d’excellent chef d’entreprise.  On le respecte. Ni la fantaisie ni l’originalité n’émanent de sa personne

– Vous ne connaissez pas les lutins ?!s’exclame Licia, complètement médusée.
Elle décide de remédier à leur lacune.
-Ce sont des petits classeurs très fins et flexibles dans lesquels je glisse un maximum d’informations pour qu’Alain ne se perde pas en route.
Après une courte pause et devant le manque de réaction de ses collègues,
-C’est comme si je lui donnais des petits cailloux blancs. Vous voyez ? 

– des cailloux ? Eva et Laure ont les yeux écarquillés. Les lutins, les cailloux…Mais que se passe-t-il à la Direction Générale ce matin ? s’inquiète Eva cynique.

Leurs visages hilares lui font mal. Déconfite et vexée, Licia se sent incomprise. Elles ne parlent pas le même jargon ce matin.

– oublions les cailloux, et le reste aussi, concède-t-elle d’un mouvement d’humeur

Elle qui était arrivée toute guillerette et pleine d’espoir en repart chiffonnée, limite de mauvaise humeur. Rien de pire que la moquerie.
Sans demander son reste, elle quitte leur bureau sur un mouvement de stretching élaboré qu’elle ne peut même pas refréner.

Licia est toujours en mouvements ; c’est plus fort qu’elle, il faut qu’elle bouge. N’importe où et n’importe comment.

Mais parfois, dépassée par une chorée « cabriolesque », ses mouvements échappent à son contrôle et il n’est pas rare de la récupérer parterre… bloquée !

Un jour, après un élégant swing, munie de son club préféré -un parapheur- elle était parvenue à se déplacer une côte flottante ! … cela l’avait calmée pour quelques semaines !

Aujourd’hui, bien calmée dans son élan, elle glisse en grand écart contrôlé jusqu’au bureau voisin, celui d’Emilie avec l’idée de lui poser la même question mais la trombine de l’occupante la dissuade de s’y incruster et elle poursuit élégamment sa glissade

Très lunatique, Emilie est d’un abord difficile.
Il est fortement recommandé de l’observer avant de s’y frotter !
Avec sa tête d’enterrement récurrent, on la surnomme la « cat-mourner » « la pleureuse de chats ». Aujourd’hui, à en juger par sa mine renfrognée, ce sont des meutes de félins qu’elle enterre.

Licia accélère la cadence.

Objectif : trouver un lutin. Elle va bien finir par en trouver un s’encourage-t-elle ! Elle n’a pas le choix.  Alain prend son avion ce soir.

Retour à la case départ et nouveau plongeon dans l’armoire.
Elle découvre son tas de lutins, bien caché derrière une pile de parapheurs.
Sauvée !!

Quelques instants plus tard, triomphale, elle pénètre dans le bureau de son patron,

– lutin murmure-t-elle en le déposant sur sa bannette « départ ».

Alain, en conversation téléphonique, acquiesce avec reconnaissance pendant que Christophe son directeur Financier et Dominique, son directeur Stratégie s’installent autour de la table de réunion.

Les deux hommes se regardent surpris, une lueur d’inquiétude dans le regard.
Lutin ? Une nouvelle affaire ? Un nouveau mot de code ?

– T’es au courant, toi ? Chuchote Christophe
– Non, pas du tout, répond Dominique, sur le même ton … tu crois qu’Alain est en train de nous doubler ?
– ça m’étonnerait le rassure Christophe, à voix basse, le projet n’est probablement qu’un embryon et il nous en parlera sans doute sous peu.

Malgré ses paroles qu’il veut rassurantes, il reste intrigué : 
-L U T I N, ça voudrait dire quoi, à ton avis ?
-Aucune idée, répond Dominique à voix basse, songeur, ça pourrait vouloir dire tout et son contraire.

Voyons, au hasard : …. L pour. Ligue, U… unioniste…, T Trans.  I pour Intrinsèque… et N pour …né… goce…voilà ! ……Ligue Unioniste Transversale Intrinsèque de Négoce

– Pas très explicite et ça n’a aucun sens je le reconnais continue Dominique…

-je mets Guillaume en urgence sur cette affaire. Il fera le tour de la concurrence et on saura rapidement et discrètement de quoi il en retourne…en attendant restons vigilants et essayons de ne pas dramatiser… !!

Les choses les plus simples sont peut-être les plus dangereuses ! …A chacun d’ouvrir sa porte au cortège de son choix, … Mais attention, quiproquos et fausses rumeurs sont prêts à bondir ! 

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