Au cap fatidique de 10h00, à l’heure où les estomacs crient famine et les esprits défaillent, petits gâteaux et longs cafés flirtent assidûment pour réanimer les corps affaiblis.
Après s’être copieusement rassasiée, Licia annonce à la cantonade :
-Mon quart d’heure shopping, c’est ce midi !
Seuls quelques sourcils en chapeau chinois lui répondent : l’objectif de toutes est d’engloutir le reste des viennoiseries.
– Je t’accompagne ! déclare soudainement Helen, la doyenne de l’équipe.
Espiègle, elle adore provoquer des quiproquos en jouant sur les différences culturelles. On l’adore. C’est la mascotte.
– Cool ! s’exclame Licia, enthousiaste.
Le sésame s’ouvre enfin : c’est la liberté vers une pause déjeuner pleine de promesses… Les paquets s’additionnent, le plaisir est au diapason, et l’heure, qui a perdu ses aiguilles, s’étire !
Soudain, Licia s’arrête net, fixe un point de l’autre côté de la rue, puis traverse en un sprint ébouriffant digne d’une galopade de haut niveau.
Helen, interloquée, la voit se jeter dans les bras d’un homme, l’embrasser chaleureusement sur les deux joues et s’effacer haletante, pour lui laisser la place.
Plus modérée et attendant d’être présentée, Helen salue gracieusement l’individu.
L’homme reste immobile.
Silence gêné. Coups d’œil en coin… Licia est pétrifiée. Méprise totale !
Seule issue : la fuite. Elle détale, mortifiée, sans attendre Helen qui quitte l’inconnu en s’excusant.
Feedback haut en couleur autour de la machine à café…
Helen, malicieuse, soigne la mise en scène :
-Vous ne pourrez jamais deviner ce que Licia a fait ce midi…
L’attention de l’équipe est ferrée. Helen jubile.
-Elle s’est jetée au cou d’un inconnu, l’a embrassé comme du bon pain… et moi, j’ai suivi !
Licia se ratatine à vue d’œil.
-Une tactique très personnelle pour attirer les mâles… poursuit Helen. Le hic, c’est que son système de sélection est défectueux !
Tohubohu et tollé d’exclamations. On veut tout savoir.
– C’est quoi sa tactique ?!
-Excuse-moi, intervient Béa, la séductrice de l’équipe, mais… tu parles bien de Licia ?
Béa n’en revient pas. Licia, une concurrente ?! Cette collègue discrète, voire timide, qui ne fait jamais parler d’elle ni de ses conquêtes ? Impossible !
– Mais oui, je ne parle pas du curé ! rétorque Helen, ravie de l’effet produit.
Les regards convergent immédiatement sur Licia, qui rougit violemment.
– Sa tactique ?! enchaîne Helen. C’est de se jeter dans les bras du premier venu ! S’ils étaient beaux encore… pourquoi pas ! Mais là… fallait voir le modèle choisi !
Stupeur et frémissements.
-Donc la voilà dans les bras d’un inconnu, l’embrassant à tout va. Et d’un coup, sans prévenir, elle détale comme si elle avait le diable aux trousses ! Moi, je reste plantée là, face au gaillard, comme une poule avec un couteau. Il avait les yeux exorbités et moi… je n’étais pas franchement à l’aise. Je lui ai donc rapidement tiré ma révérence avec ce qu’il me restait de dignité !
-Ça vous épate, hein ? Avec Licia, frissons garantis à chaque tournant !
Les deux « vedettes » forment un duo détonant : l’une, rose de plaisir, joue à merveille du quiproquo, tandis que l’autre, figée dans sa confusion, souffre d’être l’objet de tant d’attentions.
Après avoir retrouvé un semblant d’aplomb, Licia se justifie :
– J’ai cru reconnaître Pierre, un ancien collaborateur… Il avait quitté l’entreprise pour des raisons personnelles…
– Ah, donc Pierre hante encore tes pensées ? glisse perfidement Béa.
Aucune réponse de l’intéressée.
Une question de principe (ou presque).
Licia ne voit pas très clair, c’est indéniable. Mais du haut de sa coquetterie, elle met un point d’honneur à ne jamais porter ses lunettes.
D’où ces situations cocasses : entre les gens qu’elle croit reconnaître mais ne connaît pas, et ceux qu’elle connaît mais ne voit pas, elle s’attire souvent des regards courroucés. Elle passe pour hautaine et prétentieuse, alors qu’elle est juste… myope obstinée.
Pourquoi s’obstiner ?
Quand on lui pose la question, elle répond :
– Les lunettes me tiennent chaud… ou alors elles me font perdre l’équilibre !
Choix cornélien : mieux voir ou assumer les quiproquos ? Les paris sont ouverts… et misent déjà sur d’autres déluges de rires