A travers champs, à travers temps

Au fil des jours

A travers champs, à travers temps

La journée s’annonce magnifique. La lumière inonde la maison et les rayons de soleil chauffent l’espace tout en rehaussant les couleurs. L’appel de la campagne se fait impérieux.  Impossible d’y résister a moins de se boucher les oreilles se dit Anastasia. Les oiseaux n’en peuvent plus à force de piailler, les corbeaux ne lâchent rien et font un vacarme de tous les diables, les pies se moquent à tour de bras, quant aux oies, elles ne se font pas voir mais donnent de la voix. La cacophonie est à son comble. Trop dommage de rester cloitrée se convainc-t-elle. Sans culpabilité aucune et plutôt avec bonheur, elle efface magistralement son emploi du temps de la journée pour se laisser séduire par la perspective d’une errance champêtre. Après tout, le travail peut attendre mais se perdre dans la frénésie des sons et des couleurs, c’est maintenant !

Anastasia a claqué la porte et contourne la maison pour emprunter le petit chemin.

Le ciel est d’un bleu intense. Le peintre a joué la perfection : aucune trace de pinceau. En dessous, le jaune des champs de colza s’enflamme en parfumant l’atmosphère d’une odeur de cire qu’il fait bon humer. La gamme des verts, qui se juxtapose aux jaunes et aux marrons des terres labourées, s’est encore enrichie, à se demander si la nature ne profite pas de moments d’inattention pour créer d’autres nuances de couleurs sur sa palette divine, et celles-là inimitables.

Anastasia est dans son élément. En route pour des moments de délices et de délire ! Souvenirs déformés et histoires interprétées, elles les projettent sur la campagne qu’elle traverse. De ses pas jaillissent des scènes qui la ravissent.

Le tracteur qui s’active dans le champ sous la conduite d’un homme solitaire devient subitement un attelage de chevaux tirant une herse sous la vigilance bienveillante du paysan et de son fils …. Là, autour du lavoir rénové et déserté, les rires des femmes résonnent et le linge claque dans l’eau. Là-bas, les poules derrière leur grillage caquettent et accourent  vers la paysanne qui disperse des graines au bout de ses amples mouvements de bras.

Les époques se mélangent et s’entrechoquent pour ne faire qu’un présent. Anastasia adore s’oublier ainsi dans l’espace-temps. Comme si, par la force de l’imagination, l’écho d’un instant se répétait à l’infini. Quel pouvoir !

Le chemin se déroule comme un ruban et lui offre un spectacle inédit. Elle s’arrête un instant devant un puits bien conservé et laisse son imagination vagabonder …la paysanne se penche sur le trou noir et manipule les poulies grinçantes pour remonter le seau rempli d’eau. Une tâche anodine et quotidienne pour elle.

Le temps se retient de tourner. Anastasia flâne. La ligne du paysage est immuable, constate-t-elle. Si joliment vallonnée. C’est le silence qui est gênant. Trop compact. Le chant des oiseaux s’est interrompu et en arrière-son, en continu, le ronronnement des moteurs. Il manque quelque chose. C’est la voix. Les cris, les rires, les « houspilllades », les chants. Les gens.

Anastasia soupire. C’est plus fort qu’elle, il faut toujours qu’elle idéalise, qu’elle gomme ce qui est gênant pour s’offrir, le temps d’une balade, un rêve merveilleux, fabriqué de toutes pièces, c’est vrai mais si enchanteur !

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