Eugénie prépare le linge à laver. Il y en a beaucoup aujourd’hui. En général, elle le fait deux fois par mois pour ne pas se laisser démunir. Le petit linge s’est accumulé plus que de coutume car les garçons se sont bien salis ces derniers jours.
La lessive, c’est tout un rituel ! mais ce n’est pas pour lui déplaire. Loin de là ! Un moment calme pour prendre soin de ses affaires. Elle prend son temps pour trier le linge qu’elle dispose dans des bassines, puis dans la brouette. Elle y rajoute un gros morceau de savon, son battoir et bien sûr sa caisse à laver.
Le lavoir est à dix minutes environ de la ferme, en suivant le chemin, ce qui est plus sûr car la brouette, bien pleine, risquerait de se renverser si elle prenait à travers champs.
Dernier coup d’œil pour s’assurer qu’elle n’oublie rien et elle empoigne vigoureusement les bras de la brouette. C’est parti !
La perspective lui fait plaisir. Elle a presque hâte d’y être ! La lessive, c’est un travail pénible, car les mains bleuissent à force de rester dans l’eau froide, et la position agenouillée, finit par être douloureuse mais c’est l’occasion de retrouver ses copines. Des moments de partage, de rire, de chants, de soutien aussi.
Elles arrivent presqu’en même temps ! C’est la bonne heure. On s’embrasse ; certaines sont déjà à leur place, en train de frotter ; bien souvent, quand c’est possible, on s’installe au même endroit que la fois précédente. Question d’habitude.
Blandine est là avec son gros ventre ; la naissance est imminente mais elle travaillera jusqu’au bout. C’est son cinquième. Les femmes se font du souci. La famille a déjà du mal à joindre les deux bouts et avec ce petit… que va-t-il se passer ?
Comme à son habitude, Eugénie fait son tour pour saluer et embrasse ses copines, avant de s’installer.
-tu as beaucoup de linge cette fois ci commente Odile
-oui, et des draps en plus ! confirme Eugénie
-ma pauvre ! on s’en passerait bien de les laver ces fichus draps, intervient Sylvaine
-c’est vrai ! on devrait avoir une baguette magique pour les nettoyer, suggère Eugénie en riant.
Les dames, agenouillées dans leur caisse, sont penchées sur l’eau et savonnent, frottent, tapent, essorent. Le petit linge, c’est le plus facile.
Eugénie attaque maintenant les draps. Ce sont les beaux draps en gros coton qui faisaient partie de sa dot. Elle les avait brodés lorsqu’elle préparait son trousseau. Leur lavage est rude.
– mon fils, Augustin va travailler comme commis boucher au bourg annonce soudain Denise
-c’est une bonne nouvelle lui répond Hermine ; il va apprendre un métier et peut-être gagner un peu d’argent ou vous rapporter de la viande, et en ces temps difficiles, ce n’est pas négligeable.
-et toi, tes fils ? Eugénie, demande Blandine, curieuse,
-Jean-Marie travaille bien à l’école ; lui répond Eugénie, en revanche Roger ne veut pas continuer. On réfléchit si on le garde à ferme car on manque de bras ou si on le place chez un patron pour qu’il apprenne un métier.
Hermine fredonne un petit air tout en battant son linge.
-Jeudi, on tue le cochon chez nous, claironne Odile ; n’oubliez pas de venir l’après-midi pour aider à faire le boudin.
Toutes opinent du bonnet. Elles s’y rendront sans faute ; encore un moment bien agréable à partager tout en travaillant.
Eugénie se lève ; elle range le petit linge, prêt à sécher dans une bassine, et dans l’autre, elle entasse les draps savonnés.
– à tout à l’heure ; mesdames, je reviens pour rincer les draps.
– je ne sera peut-être plus là, la prévient Odile, car j’ai pratiquement terminé, mais courage !
Rentrée à la ferme, elle dispose ses draps dans la lessiveuse, qu’elle met à chauffer sur le feu. Elle laissera l’eau bouillir trois bons quarts d’heure avant de récupérer le linge.
Ensuite elle remettra les draps dans la bassine et retournera au lavoir pour les rincer et les essorer.
Il ne lui restera plus qu’à les étendre dans le jardin, sur la corde pour les faire sécher.
Eugénie est heureuse; Encore un bel après-midi stimulant, alliant travail en commun et joie.
La parenthèse lessive se referme pour aujourd’hui mais se rouvrira dans deux semaines.