Déjeuner professionnel ? Oui, bien sûr ! Indispensable pour ouvrir la saison estivale. Pour plus de liberté, la formule pique-nique est votée à l’unanimité. Le Bois de Boulogne, qui s’étale en bas de la porte, s’impose tout naturellement.
Prévu depuis une semaine, le ravitaillement est soigneusement étudié et réparti. Chacune sait ce qu’elle doit apporter. Bien sûr, le vrai défi est de déjouer l’attention des patrons. Double portion de bonheur !
En fin de matinée, quelques coups de fil étouffés, des rendez-vous secrets… et un départ du bureau en catimini. Tout le monde se retrouve au rez-de-chaussée, les bras chargés de victuailles. Pas question de se laisser mourir de faim… ni de soif, d’ailleurs !
L’endroit idéal est enfin trouvé. Nappes étalées, mets disposés, un premier toast s’impose : – À nous et à notre ingéniosité !
La rabat-joie de service ne peut s’empêcher d’intervenir :
– Vous êtes sûrs ? Personne ne nous a vues ?
– Mais non ! Ils sont au siège, et JC enfermé dans son bureau, explique Christiane , ils ne s’apercevront même pas de notre absence.
Eva s’en contente. D’abord farouche, elle refuse la coupette avec véhémence : « Pas d’alcool en service ! » Puis, elle se laisse attendrir… et accepte quelques godets. Notre glaçon pas commode se décongèle complètement, le rose aux pommettes, elle sourit, et éclate même de rire (au troisième gobelet !). A se demander s’il ne faudrait pas lui administrer un peu d’alcool dans son café du matin, par dévouement à la cause commune ! A étudier.
Kasema, musulmane de cœur et d’éducation, s’accorde une (petite) entorse : deux bons gobelets de rosé. L’alcool la rend hilare. Elle n’arrête pas de glousser et de se tirebouchonner.
Joss n’est pas en reste. Vautrée de tout son long en travers de la table de fortune, les yeux mi-clos, elle marmonne :
– Je suis définitivement POUR la sieste.
Un peu plus loin, Chantal, qui a décidé de veiller à l’éducation de Wendy, l’entraîne à prononcer des gros mots :
– Répète après moi : « merde ».
– Meurddd, répète maladroitement Wendy.
– Con.
– Cônn.
– Il y a du boulot… mais je vais m’occuper de toi ! Tous les matins, on fera une petite répétition…
Pendant ce temps, Béa, à plat ventre sur ses coudes, reluque les mollets et les postérieurs des joggeurs qui passent, commentant moqueusement leur anatomie.
Le temps s’étire, les paupières s’alourdissent. Plus de tensions, plus de jalousies : la communion est parfaite. Allongées sur la pelouse, bercées par une petite brise, les yeux sont hypnotisés par les nuages qui racontent des histoires… à moins que ce ne soit l’effet du rosé !
Soudain, Miss Glaçon – toujours la même – se réveille en sursaut :
– Vous avez vu l’heure ?!!
Charme rompu. Définitivement. Cheveux ébouriffés, mais la chansonnette au bout des lèvres et le rythme au corps, la fine équipe, ahurie et catastrophée par le décalage horaire, se remet en route. Sans conviction. Le chemin du retour est nettement moins festif, mais chants et pas de danse sont toujours au programme.
Ouh !! Quel retour !! Le pire des scénarios catastrophe. Douches glaciales : les chutes du Niagara mais en version congelée. Regards courroucés, doigts sur montre, violents hochements de tête.
– Dans mon bureau ! Je vous laisse cinq minutes pour vous reprendre.
(Patrik, s’adressant à Joss, l’air exaspéré.)
Le dégrisement est presque instantané. Colère blanche ou colère froide, l’effet est le même. Comme de vilaines gamines punies, nous filons dans nos bureaux, l’oreille basse, des brindilles d’herbe dans les cheveux, sans demander notre reste. Malgré tout, l’envie de glousser est difficile à réprimer. Quelques petits rires s’échappent. Les bouteilles de rosé n’y sont certainement pas étrangères. La situation est trop cocasse… La froideur des occupants en costume-cravate nous fait mourir de rire.
Mais chut ! Nous sommes au coin. Il va falloir obéir à la convocation. Brossage de dents obligatoire. Surtout éviter de projeter les effluves d’alcool. L’œil brillant ? Rien à faire. Il ne reste qu’à fixer ses chaussures. Jaloux, peut-être ? On aurait dû les convier… ou pas. En tout cas, pas aujourd’hui. Ni demain