Et si on se massait?!

Autour de la machine à café

Et si on se massait?!

Bien aménagé au rez de chaussée de l’entreprise, juste derrière l’escalier qui monte aux bureaux, l’espace « bar » est le point névralgique du bâtiment. C’est un passage incontournable ! Largement aussi important que le bureau du directeur !

Là, la hiérarchie est abolie. Tour à tour chacune et chacun s’amuse à jouer au barman. Des confidences matinales aux petites histoires drôles du midi, toute l’équipe adore le lieu et le fréquente assidument. On s’y réconforte. On s’y congratule. On s’y confie. Animé par des débats de fond sur les sujets d’actualité, Il est aussi le théâtre de bien des fêtes, à commencer par celle du coup d’envoi du week-end, le sacro-saint vendredi « Thanks God it’s Friday ». TGIF !

Aujourd’hui, l’humeur est au gris. Le petit café du midi à mal à passer. Les secrétaires sont adossées au bar, le visage renfrogné et boudeur.

Kaséma attend son moment. Elle les observe. Elles sont toutes furieuses (y compris elle-même d’ailleurs) car elles n’ont pas été conviées au séminaire de team building organisé par le siège. Seuls leurs patrons y participent, Le sentiments de laissées pour compte doublé d’un arrière-goût d’injustice n’est pas loin d’alimenter une petite rébellion.

La quarantaine bien amadouée, Kaséma est obnubilée par son surpoids survenu après ses quatre grossesses successives et elle passe allègrement de régimes fabuleux en régimes encore plus fabuleux avec chaque fois autant de conviction que d’espoir. Même si le résultat reste désespérément inaperçu, elle ne se décourage jamais.

Ce qui l’enthousiasme le plus, c’est de tout savoir sur tous et de mener la danse. C’est un peu la « Mama » du groupe, conseillère conjugale à ses heures, elle sait susciter les confidences…

Après quelques instants d’observation, elle lâche sa bombe !

-Et si on se massait ? propose-t-elle d’une voix tonitruante

La suggestion se cristallise dans l’air comme une respiration manquée puis un tintamarre de voix excitées éclate :

– « Un massage ?!!

– Excellent !!

– Tu nous présentes le masseur

Envolées les bouderies. Les visages s’éclairent, les yeux sourient, la curiosité est amorcée

Kaséma jubile ; effet réussi ! Son œil noir pétille de malice….

Elle prend la direction des opérations.

– « Ecoutez-moi mesdemoiselles, arrêtez de délirer ! On se met toutes les unes derrière les autres et je vous montre comment masser ».

July, Helen, Jocelyne, Eva, Chantal, Lourdes, Azka, Christine, Béatrice, Martine, Marci et France se bousculent joyeusement, pendant que Jocelyne entreprend un entrechat pour se dégourdir les jambes.

– « On s’y met » ? s’impatiente Kasema. -Vous êtes prêtes « ? Répète-t-elle

Elle met ses mains en porte-voix : « Mettez-vous les unes derrière les autres s’il vous plait ! un peu de discipline, voyons » !

Une colonne disparate et bruyante se met en place dans le couloir habituellement silencieux et solennel de l’entreprise.

– « Regardez-moi », s’égosille Kasema, « on prend ses pouces et on les enfonce de part et d’autre de la colonne vertébrale de votre voisine, en partant du cou et en descendant lentement et doucement…Christine, redresse-toi ! »…

– « Chantal, pas comme ça c’est trop fort, tu vois bien qu’Eva va tomber !

Eva, tu n’as pas avalé un manche à balai ce matin ? Non ? Eh bien, laisse-toi aller ! »

Eva, ou Miss « glaçon » n’a rien d’une rigolote. Droite et sévère, elle a autant de fantaisie qu’un mur tout gris.  Elle applique le règlement, respecte les horaires et les délais et cultive le culte de la Discipline et de l’Obéissance. Mais Kasema, en sauveuse d’âmes, s’est fixé la mission de la « sauver » malgré elle. Elle s’emploie donc à la « décoincer » par tous les moyens au risque de se voir sèchement rabrouée, ce qui arrive régulièrement.

– « Jocelyne, tu me chatouilles » ! Bredouille Marci en se tordant de rire. « Je prendrai mon « bed buddy » (petit coussin chauffant). Son babillage se perd dans le brouhaha.

– « Aïe crie » Wendy  « it hurts » (ça fait mal).

Wendy est toute petite et Azka qui est beaucoup plus grande a sans doute surestimé sa force.

– « Licia, l’interpelle Kasema, je n’ai pas dit « la tête à Brest et le derrière à Marseille »   j’ai dit : « on se tient droite » !

Licia prend un petit air contrit et se redresse gracieusement dans la rangée.

– « Béa, ce n’est pas la peine d’onduler de la hanche, il n’y a pas l’ombre d’un homme à l’horizon », continue Kasema, imperturbable.

Béa lui répond par un pied de nez et se glisse dans la parade.

Béatrice, ou la grande Béa est une croqueuse d’hommes. Avec son visage mutin au petit nez retroussé à la parisienne, elle charme et attire la gente masculine qui tombe dans ses filets. Elle collectionne les conquêtes au grand dam des trentenaires et quarantenaires toujours célibataires qui la regardent d’un œil assassin. C’est à cause de femmes comme elle, se plaignent-elles, qu’elles ne trouvent pas chaussures à leurs pieds.

Inconsciente des commérages vitriolés des laissés-pour-compte, Béa n’hésite jamais à raconter ses aventures et ses coups de foudre à répétition. Ses récits croustillants et pleins d’humour sur sa vie tumultueuse captivaient son auditoire tout en l’agaçant prodigieusement.

– « Allez-y plus doucement les filles. Je vous rappelle que ce n’est pas un cours de kick boxing ! » S’époumone Kasema

– « Génial !!!  C’est chouette… Marravilloso !!! So gorgeous !! »

– « ça fait un bien !  « J’adorre » ! encore, encore »

Des trémolos de joie et de plaisir envahissent l’espace. Les filles se tordent dans tous les sens comme une folle farandole multicolore. Oubliés les contrariétés ; c’est la récrée !

Finalement, il a du bon ce séminaire … !!


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