Je me souviens des paroles d’un proche m’alertant avec conviction sur un sujet qui lui tenait à cœur : « Attention, la vie, c’est une roue qui tourne et quoique tu fasses ou quoique tu dises, elle tourne inexorablement ».
Pour l’enfant que j’étais, cette remarque ne signifiait pas grand-chose à part une évidence implacable : une roue, ça tourne.
Pfut! On oublie la roue.
Les années passent, bien remplies. Chargées de rêves, de déceptions, de tensions, de joie et de grands bonheurs. Puis un jour, on ne sait pas pourquoi, mais on se souvient …
« La roue qui tourne ». L’image est criante de vérité. On l’imagine bien maintenant cette roue. Elle est gigantesque et silencieuse et son rythme, indécelable. Elle est parfaite.
Sauf que…un peu, beaucoup, sournoise, la roue. On ne la voit pas tourner, on ne la sent pas bouger, elle s’arrange pour travailler à notre insu, quand on regarde ailleurs.
Un beau jour, on constate son empreinte sur le front plissé de nos chers proches puis notre miroir nous renvoie l’image désastreuse d’un décalage flagrant entre notre perception personnelle de jeunesse et la réalité. Mais c’est qui celle-là, cette étrangère qui me regarde ?
Cette roue n’est pas si parfaite finalement.
Parfois, elle se grippe et c’est le chaos : le déjà-vu, la panique du grain de folie ou du trou de mémoire, puis elle se ressaisit et la confusion s’efface comme si elle n’avait jamais existé.
Elle n’a même pas de marche arrière. Impossible de rétrograder pour changer de route ou effacer une parole ou un geste. Il semblerait qu’on n’ait pas le droit à l’erreur avec cette roue.
Lui, dans sa grande sagesse, tout cela, il le savait.
Mais j’y pense, si elle ne peut faire de marche arrière, elle peut ralentir, et nous offrir plein d’instants d’éternité. ?
Oui, elle tourne inexorablement, c’est vrai, mais elle sait aussi apprivoiser le temps en l’abolissant pour notre plus grand bonheur et en accordant le passé au présent.
Hier, avant-hier, demain, les souvenirs et les rêves ne font plus qu’un sur cette roue fantasque.