Les enfants « s’amusent » à la ferme

la ferme de Jean ; Saint-Vran ; histoires du temps jadis;
Des histoires du temps jadis

Les enfants « s’amusent » à la ferme

Juillet 1940
Jean-Marie, 10 ans, ronchonne depuis son lever.
« J’en ai assez de garder les vaches ! C’est toujours moi ! Jamais Roger. Lui, sous prétexte que c’est l’ainé, il a le droit de suivre le père. Ils sont déjà partis ce matin pour aider les voisins. Je pourrai le faire moi aussi… Mais voilà, c’est lui qu’on choisit toujours parce qu’il a deux ans de plus que moi ; en plus, il a le droit de faire ce qu’il veut… »

Petit gringalet à la peau pâle, Jean-Marie a des yeux espiègles d’un bleu profond. Vif et débordant d’énergie, il n’hésite pas à jouer des poings pour s’imposer ; et il est loin d’être le dernier à pousser la voix. Les rixes avec son frère, plus grand d’une tête et plus costaud, ne se comptent plus et le vainqueur n’est pas celui que l’on pourrait supposer.

Du raffut dans la cour. Le troupeau sort de l’étable. Assis sur le bout du banc, Jean-Marie boude. « On ne lui laisse jamais le choix de faire ce qu’il veut ! Ce n’est pas juste. Sa mère va l’accompagner jusqu’au champ et ensuite il restera tout seul. Pour les surveiller. Comme si elles avaient besoin d’être surveillées, ces vaches ».
« Et toute la journée » ! Jean-Marie soupire.

« Je préfère aller à l’école, au moins je vois des copains ! Mais c’est les vacances. Quelle punition ! Quand je serai grand, c’est moi qui mènerais le cheval au champ ! Au lieu de cela, je vais m’ennuyer à mourir. Il n’y a rien à faire dans le champ ».

-Jean-Marie, l’interpelle sa mère, on y va.

Elle rassemble les vaches et appelle Tobu, leur berger allemand. Tobu est tout jeune et un peu foufou ; il n’a pas encore appris à conduire le bétail. Le troupeau se reforme et s’achemine tranquillement vers son pâturage. Il fait déjà très chaud.

Jean-Marie traîne ses galoches, loin derrière. Tobu court dans tous les sens, traverse le chemin d’un côté, puis de l’autre, s’égare dans les fermes avoisinantes puis revient…

Arrivés à destination, Eugénie s’adresse fermement à Jean-Marie :
-Surveille -les bien, que le troupeau ne s’éloigne pas du champ. Et attention à la fontaine ; ne les laisse pas s’en approcher. Tiens, c’est ton déjeuner lui dit-elle en lui tendant son casse-croûte.

La fontaine est un grand trou naturel de quatre, cinq mètres de profondeur et large de deux mètres environ, toujours rempli d’eau. Mais en ce temps de sécheresse, il est pratiquement vide.

Une fois les consignes données … et comprises, Eugénie se hâte de rentrer à la ferme. La journée sera bien remplie. Elle s’est laissée démunir, sans rien y comprendre. Il n’y a plus ni pain, ni beurre ! Il faut qu’elle en refasse en urgence, sinon, problèmes à l’horizon… ! Jean-Marie est tout à fait capable de garder le troupeau. Il n’est pas content, elle l’a bien vu mais elle a besoin de son aide, elle ne peut pas être partout.

Jean-Marie se morfond

Resté seul, désœuvré, Jean-Marie s’assoit sous un arbre, bien à l’abri du soleil. Il a déjà pris des coups de soleil et ça fait trop mal. Il se saisit d’une pierre et la lance rageusement le plus loin possible, de toutes ses forces.

Comme un fou, Tobu se lance à la poursuite de la pierre, puis disparaît dans les broussailles.

Dépité, Jean-Marie sort de sa poche les osselets qu’il avait glissés juste avant de partir et s’amuse à les lancer en l’air. Mais très vite, il se lasse du jeu.
D’un bond, il se lève et décide, pour s’amuser, de courir dans le champ dans tous les sens. Les ruminants relèvent la tête sur son passage et le fixent d’un œil morne, trop fatigués pour le suivre. Aucun signe de Tobu. Il a dû rentrer se dit Jean-Marie. Lui aussi, il me laisse tout seul.

A bout de souffle, il s’arrête pour se reposer. Il croit alors entendre des voix ; pourtant il n’y a personne, il est seul. Tendant l’oreille, il essaie d’en repérer la provenance ; le bruit vient d’un autre pré, de l’autre côté du talus. Il s’y rend aussitôt en enjambant le fossé. Il aperçoit alors, Mathilde la fille de la ferme voisine. Elle est assise et chante à tue-tête devant l’auditoire attentif de ses vaches qui apprécie manifestement la mélodie.

Il siffle. Mathilde l’aperçoit et s’interrompt. Les bovins lèvent la tête et fixent l’intrus. Mathilde lui fait signe de venir la rejoindre. Il ne se fait pas prier.
-tu chantes ? lui demande-t-il

-ben oui, tu as entendu ! J’aime chanter. Peut-être qu’un jour je serai une grande chanteuse, lui répond-elle rêveuse.

Mathilde a un an de plus que Jean-Marie. De bonnes joues rouges, des yeux pétillants, elle respire la joie de vivre. Ses longs cheveux blonds sont nattés avec des rubans de couleur.
Ils ne jouent jamais ensemble. C’est une fille…

Jean-Marie ne prend pas la peine de relever sa remarque.
-que fais-tu avec ces herbes ? lui demande-il en désignant du pied un tas de fougères et de fleurs.

– je me fais des couronnes ! regarde-lui dit-elle en se mettant une couronne sur la tête. J’ai l’air d’une princesse comme ça ?

Jean-Marie hausse les épaules et ne répond pas. Que c’est bête les filles !

-je m’ennuie lui confie-t-il, je ne sais pas quoi faire.

-tu n’as pas pris de livre ?

Jean-Marie la regarde d’un air incrédule.
-je te rappelle que c’est les vacances. Il n’y a pas de lecture.

-je sais. Mais regarde. J’ai pris mon livre. C’est un livre de contes et j’adore lire. Comme ça le temps passe plus vite. Si tu veux je peux te le prêter le temps que je termine mes couronnes lui propose Mathilde.

-non merci répond-il poliment ça ne m’intéresse pas.

-Et puis, moi je suis contente d’être là, continue-t-elle, pendant ce temps, je me repose, car quand je reste à la ferme, je suis obligée d’aider. Je suis en vacances ici !

Jean-Marie la regarde d’un air ébahi. Elle a vraiment drôles d’idées cette fille. Il ne partage pas du tout son point de vue. Lui, il préfère être à la ferme et voir ce que font les hommes.

Un silence presque gêné s’installe.
-bon, je te laisse lui dit-il morose, je retourne voir mes vaches et il s’éloigne, le dos tout courbé comme un petit vieux.

« Au secours ! à l’aide ! »

Le casse-croûte est avalé depuis longtemps. La journée s’étire. Vu la position du soleil, Il sera bientôt l’heure de rentrer. Enfin, ce n’est pas trop tôt ! Jean-Marie commence à compter ses bêtes. 10,11,12… il en manque trois ! il compte et recompte ; toujours 12….

Blanchette, Rosalie et Rossignol ne sont pas là ; où ont-elles pu passer ?
Il les connait bien ses vaches, il fait la traite tous les matins et tous les soirs. Au début c’était amusant ; mais c’est vite devenu une corvée.
C’est encore un coup de la Rosalie, c’est une forte tête. Les autres ont dû la suivre.

Ses yeux scrutent le champ. Rien. Affolé, Il court vers la brèche qui donne sur le chemin : elles ne sont pas là non plus. Mais où peuvent-t-elles être ?
La punition va être terrible. Il n’ose même pas y penser. Trois bêtes. Comment expliquer qu’elles se soient échappées ? Il est effrayé et ne sait plus quoi faire.

Soudain, il entend des meuglements. Ils proviennent de la fontaine. Il y court, la peur au ventre.

Ses yeux éberlués et choqués se posent sur la vision saisissante de ses trois vaches, serrées les unes contre les autres dans cet espace profond et étroit.
Tétanisé, Il reste bouche bée.

Reprenant ses esprits, il les exhorte à sortir.
Mais elles ne peuvent s’extirper. Elles n’ont pas de place, le trou est trop profond. Elles glissent.
Complètement affolé, Il part alors en courant aussi vite que ses petites jambes le permettent coupant à travers prés et champs, en hurlant à plein poumons « au secours, à l’aide ».

Un groupe de faucheurs entend ses cris et se hâte à son encontre.
-Que se passe-t-il petit ? Ils avaient reconnu le plus jeune des fils de Jean.
Jean-Marie est hors d’haleine ; En deux mots, il explique que les vaches sont tombées dans le trou.

Les faucheurs se saisissent de cordes et accourent dans le champ.

Sauvetage en pleine terre

L’un d’eux, descend précautionneusement dans le trou pour se placer à califourchon sur le dos de la première vache, Rosalie ; il l’encorde et lance l’extrémité du cordage à l’un des faucheurs restés au bord pendant qu’un troisième, descendu dans la cavité pousse Rosalie, au derrière.

Très lentement, le haut du crâne de Rosalie apparait à la surface du trou, puis son corps entier ; elle prend enfin « pied » sur la terre ferme ; sauvée ! bientôt, ses deux autres acolytes réapparaissent non sans mal, elles aussi, à la surface de la terre.

Eugénie vient d’arriver pour ramener le troupeau à l’étable. Elle aperçoit un groupe d’hommes et son sang se glace, persuadée qu’il est arrivé malheur à Jean-Marie.
Elle court vers le groupe.

Le temps de comprendre, de se rassurer et de jeter un regard noir sur Jean-Marie, qui se fait le plus petit possible ; tout reprend doucement son cours. Les rescapées, elles, rejoignent leur groupe.
Les faucheurs lui expliquent que Jean-Marie, n’y est pour rien. Qu’il a eu de bons réflexes et que les pauvres bêtes assoiffées, apercevant un filet d’eau n’ont pas hésité à descendre…

Soulagement intense. Finalement Jean-Marie ne sera peut-être pas puni. Peut-être même sera-t-il exempté demain de garde les vaches ? pas sûr….

Quant à Tobu, il n’a rien vu de tout cela car il était rentré depuis longtemps à la ferme…

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