15 novembre 2020 – la madeleine

Babette

15 novembre 2020 – la madeleine

Babette se laisse envahir par la morosité ambiante des journées qui déroulent leur uniformité grise. Elles sont lisses ; plates, immobiles. Et elle, elle les subit. Elle végète. Elle ne se reconnait plus dans cette étrangère qui se pose en victime et qui se désintéresse de tout. Elle la déteste.

Parfois, pourtant, elle a des sursauts de lucidité ; elle aimerait comprendre la faille pour la combler, mais désabusée, elle s’arrête en cours d’analyse et retombe dans sa léthargie. Aujourd’hui, c’est différent. Elle est déterminée à aller jusqu’au bout.

Inspection générale ! décide-t-elle ce matin. Décompte des dommages et activation du programme de survie si c’est encore possible. Il faut que je comprenne. Il y a urgence.

Elle ne se laisse pas le temps de changer d’avis et passe immédiatement en revue ses petits soldats.

 

La joie de vivre ? je l’ai perdue. Peut-être l’ai-je oubliée quelque part pendant le premier confinement ou bien à l’annonce du deuxième ? Il faudrait que je lance un avis de recherche ; quelqu’un l’aura peut-être retrouvée…

L’imagination ? elle ne répond plus. Elle est sûrement endommagée, l’accès est bloqué. Sans doute l’ai-je trop sollicitée ?  La difficulté sera de la faire réparer si c’est encore possible, mais il faut s’y atteler dès à présent.

L’espoir ? disparu de l’horizon. Il a dû se cacher. Je ne le retrouve plus. Il a toujours été très fort à ce jeu-là. En plus, il a embringué ses potes préférés et ce sont ceux que j’affectionne particulièrement, l’énergie, l’espièglerie, le courage, l’envie de créer… Il faut absolument que je le retrouve. Sans lui, l’épreuve sera difficile à surmonter.

Le résultat n’est pas folichon ; mes petits soldats si vaillants sont bien mal en point, constate Babette, dépitée. Je comprends mieux l’étendue de ma misère. Mais que reste-t-il de valide ? Sur qui puis-je compter ? Le doute, la méfiance, la désillusion.

Ces ressources-là ne m’aideront pas à gagner la partie se dit-elle, découragée. Ses conclusions la plongent dans un tourment douloureux. Sans issue. Que pourrais-je bien faire pour oublier ce résultat désastreux ? La question la taraude sans relâche jusqu’à ce que l’idée de gâteau germe et la séduise. Eh oui ! Babette est toujours aussi gourmande ! mais depuis quelque temps, elle n’avait juste plus le courage de pâtisser.

Aussitôt, elle se jette dans sa cuisine. Et c’est l’effervescence. Concert de cuillers sur casseroles, amoncellement de pots sur la table ; en un tour de mains, farine, sucre, œufs, chocolat s’entrecroisent et se retrouvent dans le fond du saladier.

Babette est aux commandes. Fouet en main, elle bat la pâte. Vigoureusement. Les ingrédients s’amalgament et lui proposent un appareil homogène, légèrement coloré. Le four est chaud, le moule, prêt. Bientôt un parfum chaleureux presque envoutant se répand dans la maison activant la touche mémoire. Sa madeleine de Proust ! Babette est aux anges ! Moment de bonheur intense.

L’image vibrante venue d’un autre temps s’impose, réconfortante et rassurante, la joie, les papilles en alerte, la complicité du partage et des sensations.

Babette salive d’anticipation. Elle a tout oublié le temps de cette préparation.  Plus de morosité, plus de tristesse. Ce gâteau, elle le goûtera, et le partagera avec son voisinage, masquée, cagoulée et gantée (s’il le faut !) mais elle le fera.

Tout n’est peut-être pas perdu, finalement !

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