La guerre, Babette en est convaincue, c’est bien maintenant.
Les tranchées autour de sa maison se font profondes, tassées par le martèlement répété de ses basquettes et de celles de ses ennemis.

Mais oui, affligeante constatation : Babette est entourée d’ennemis aujourd’hui…Le virus s’est peut-être incarné dans chacun des êtres humains qu’elle croise. ! Alors méfiance !

Méfiance du voisin, sous son air gentil, que cache-t-il ? ; du badaud qui s’approche trop près ; de la mégère qui n’en finit plus de peser ses fruits ; du joggeur qui crache ses poumons, autant de dangers potentiels dont il faut s’éloigner à tout prix…

La tranchée se dilate. La largeur de la rue ne sera bientôt plus suffisante pour prendre ses distances.
Réfléchir. Rester sur ses gardes.

Mise à l’isolement, Babette ne peut compter que sur la voix et l’image pour la rassurer et la réconforter. Bon. Maintenant que l’état d’urgence est décrété, Quoi faire ?
Quoi faire de ces longues journées qui s’étirent à n’en plus finir. Comment distinguer mardi de lundi ? Babette fouille sa mémoire pour retrouver ce sentiment d’ennui abyssal qu’elle a déjà expérimenté. Elle en est sûre. Mais quand ? et où ?

Localisation difficile. Et pourtant, ce sentiment la taraude. Remonter le temps. Pas évident. Mais, persévérance et idée fixe, c’est tout Babette ! A son actif, elle a surtout, tout son temps !
Bingo ! Jackpot !  Gros plan sur l’enfance et précisément, la préadolescence !! quand l’espace-temps est totalement dédié à ce goût d’éternité merveilleux ou déprimant.
C’est l’époque ou « demain », veut dire dans « cent ans » !
Ou « demain », se traduit par promesses pour écarter ce qui fâche ; un mot de grands, rempli de mensonges !

Sa vie de préado, c’est la vie à l’instant T.  Elle veut tout, tout de suite, et maintenant ! Une glace, du vernis à ongle, jouer avec ses copines, …Mais en attendant le fameux « demain », le temps se congèle et l’heure est à la grimace. Elle se souvient de certains moments d’ennui intense… et de son antidote perso : le boudin ! Non pas que l’état de boudeuse fasse avancer le temps, mais il le meuble, le rend intéressant et lui donne même une couleur !
Et alors ?! se dit Babette Ça m’avance bien tout ça ! A part ma mémoire qui se dégourdit en m’assommant au passage, … l’infantilisme n’accélèrera pas la cadence du compte à rebours. Mais au moins, se reprend-elle, c’est la preuve qu’on surmonte toujours les moments d’éternité. A chaque époque, sa force de frappe.

Résistons alors ! décide Babette dans sursaut de volonté. Apprendre à ne plus faire ce que je faisais. Apprendre défaire les habitudes organisées. Installons la paresse, la procrastination, le relâchement, le laisser-aller, …ça, c’est du défi !

Mardi ? bleu. Journée-balcon, comme on dirait journée-plage. Une chaise longue, des lunettes de soleil, une légère brise, un ciel bleu profond…et un concert privé de chants d’oiseaux. Mardi, c’est Vacances au Balcon.
Lundi ? tout gris ! polaire, thriller, canapé et tasse de thé.
Dimanche ? peut-être un petit cocktail de bleu et de gris avec une touche d’éclat marron pour le fondant au chocolat fait maison.
Mercredi ? Feux d’artifice. L’arôme annonce la couleur. Du rouge, du blanc, du jaune, on inspire à pleins poumons. C’est Mercredi-je-Cuisine.
Jeudi ? Le son donne le ton avec une perle de sueur. On bouge en rythme pour aplatir le ventre, renforcer le fessier et galber le mollet. Semences de graines de sirène.
Jeudi-je-Cultive.
Vendredi ? Vert pour le masque avocat-concombre spécial rides profondes ; Orange-miel pour la chevelure indomptable et éclats d’or citronné pour la crème hydratante.
Vendredi, je-sors-l ’artillerie-de-ma-Grand-mère !
Samedi ? Grasse mat. Du rose-songe tacheté de blanc moutonneux. La permission de flotter entre rêve et réalité….  Longtemps…  C’est Samedi-Paradis !
Dimanche ? peut-être un petit cocktail……

Pas mal ce programme ! se félicite Babette. Sans aucun entrainement pratique ni aucune préparation psychologique, je découvre une grande aptitude d’intégration au réseau de la résistance. Quelle étoffe ! … Bravo !