Des témoins ancestraux

Au fil des jours

Des témoins ancestraux

Anastasia roule. Elle adore emprunter les petites routes départementales et se laisser porter par le tracé de la « route qui va » ; elle n’est jamais déçue. Les scènes traversées sont uniques. Ces routes, souvent désertes, offrent un moment privilégié d’observation et de réflexion.

La pluie vient s’inviter au voyage mais sa présence ne gâche rien. Au contraire, elle ajoute ce petit quelque chose de spécial, d’enveloppant et de brillant… Les arbres centenaires s’inclinent sur le passage de la voiture mais l’engin passe trop vite pour qu’ils puissent s’en imprégner et s’en souvenir.

Le bruit du moteur déchire l’espace un court instant, puis le silence l’étouffe et reprend sa place, comme s’il ne s’était rien passé.

Tout en conduisant, Anastasia devine un autre voyage. Elle admire les grands arbres qui bordent la route, frise verdoyante aux courbes parfaites ; plus loin, d’autres arbres plus petits et plus robustes, signalent la démarcation d’une propriété. Leur posture est digne et flexible. Elle se les représente dans un autre temps, il y a cinquante, cent, deux cents ans ; ils sont là, sans aucun doute, discrets mais attentifs à la vie autour d’eux. Une vie qui s’écoule vibrante et lente et à laquelle, ils participent activement.

Du bruit, du mouvement, des aventures ; facile pour eux d’écouter, de faire corps avec l’histoire qui se déroule à leur pied.

Les scènes se superposent, se juxtaposent.

Des enfants en culottes courtes qui se coursent en criant ; des hommes et des femmes dans les champs qui s’interpellent, des cortèges de charrettes cadencés par le bruit des sabots des chevaux, des amoureux qui se disputent et se réconcilient, des gens heureux qui dansent au son de l’accordéon. Des vies qui se croisent, s’apprécient, se détestent. Des confessions, des confidences, des trahisons.

Ils écoutent ; ils observent ; réceptacles impartiaux de l’émotion humaine, ils vibrent avec elle.

Plus tard, d’autres bruits, d’autres gens, des troupes qui martèlent le chemin, des voix gutturales étrangères, des coups de fusils, des halètements, des corps qui se jettent à leur pied pour se cacher dans le fossé ou se protègent derrière leurs troncs épais.

Ils sont encore là. Témoins de destins extraordinaires ; de bonheurs, de drames insoutenables ; ils retiennent l’émotion. Ils offrent le réconfort. Symboles de l’éternité dans un monde mouvant.

Le temps passe.

Les bruits de la vie quotidienne s’estompent et disparaissent peu à peu laissant place au silence ; et eux, ils n’entendent plus les histoires… elles restent au sol, dans l’habitacle de la voiture ; qui passe vite et à grand bruit.

De temps en temps, rompant leur solitude léthargique, quelques promeneurs ou groupes de marcheurs, surgissent à leur pied. Des chuchotements, des rires, un début d’histoire… et ils renaissent, comme au bon vieux temps. Ils entreprennent alors avec conviction et bonheur leur chorégraphie simple et gracieuse, comme un hommage à la vie, en se redressant, en se balançant, en se courbant au gré du vent et des gifles de pluie.

Une façon toute simple, bien à eux, de montrer la pérennité de leur existence. Des témoins ancestraux bienveillants.

Anastasia est arrivée à destination. Le chemin des écoliers était fabuleux ! Elle en reprendra un dès que possible. Elle se sent en communion avec les éléments, même si son bonheur est teinté d’une pointe de nostalgie inexplicable. Rassurée, réconfortée, confiante, elle est maintenant prête à suivre sa propre route.

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