La demande en mariage

Des histoires du temps jadis

La demande en mariage

-Tu as fait quoi ? répète Roger les yeux écarquillés et la bouche ronde de stupeur ; à bientôt dix-huit ans, il voue depuis toujours une admiration inconditionnelle à Ernest, son cousin, mais aujourd’hui, il ne le comprend pas.

-J’ai fait trois demandes en mariage en même temps lui répond Ernest, les yeux rieurs, comme si c’était une démarche naturelle.
-mais tu es fou ! … s’exclame Roger

Ernest est le fils d’un cousin éloigné de son père. Il vit dans l’exploitation familiale dans le village voisin. Les familles se voient régulièrement et s’aident pour les gros travaux saisonniers.
Les deux garçons se retrouvent donc de temps en temps pour prêter mains fortes. Aujourd’hui, ils travaillent dans un des prés de la famille d’Ernest. Moisson oblige. La sueur ruisselle sur leur front. C’est le moment bien mérité de la pause.

Ernest vient d’avoir vingt et un ans. Beau jeune homme aux yeux bleus malicieux, il est de grande stature et d’une force peu commune ; sa charpente désarçonne les plus belliqueux et inspire le respect de tous. Bon vivant, agréable à vivre et joyeux, c’est une vraie « bonne pâte ! ».
Il aide bien volontiers ses parents à la ferme mais il adore surtout s’amuser. Il attend toujours avec impatience le samedi soir pour se distraire avec sa bande de copains. Dans une même soirée, ils s’invitent à tous les bals des villages avoisinants et le dimanche, ils ne manquent aucun festnoz ; ils sont bien connus dans la région pour leur sens de la fête.

Ernest est fils unique. Ses parents le harcèlent depuis un bon moment pour qu’il se « range ». Se sentant vieillissants, ils souhaiteraient qu’il reprenne la ferme. Pour cela, il faudrait qu’il trouve une épouse sérieuse et travailleuse pour l’épauler et assurer la descendance.
Ils n’hésitent pas d’ailleurs à lui suggérer avec insistance le nom de jeunes filles « bien comme il faut », mais Ernest ne les écoute pas.

Il plait aux filles. Elles adorent se pavaner à son bras. Infatigable danseur, Il les fait valser jusqu’au bout de la nuit et il sait les faire rire. Aucune, jusqu’à présent, cependant, n’a retenu son cœur. Il les apprécie toutes !

-pourquoi fais-tu cela ? reprend Roger ; il n’en revient toujours pas. Le mariage est tout de même une histoire sérieuse, pas un jeu de hasard !
Ernest s’essuie le front avec son grand mouchoir à carreaux et vient s’assoir à côté de lui sur la grosse balle de foin.
-Il est temps que je me décide répond-il. Les parents n’arrêtent pas de me tarabuster à ce sujet et de me présenter des filles qui ne m’inspirent pas du tout. Je préfère choisir moi-même. Le problème c’est qu’elles me plaisent toutes les trois….

Roger reste un instant silencieux.
-il n’y en a pas une qui t’attire plus qu’une autre ? insiste-t-il
-non, répond Ernest, Je n’arrive pas à choisir. J’ai beau me poser des questions, mais cela ne mène à rien.
-tu as donc envoyé ces trois lettres le même jour, résume Roger pour se persuader de l’incroyable réalité.
Ernest opine du bonnet,
– et ce n’est pas une blague ? lui redemande-t-il
-Non, ce n’est pas une blague confirme Ernest en riant.
-Et tu fais quoi ensuite, s’inquiète Roger
j’ai décidé que la première qui me répondra, je l’épouserai déclare Ernest fermement.
Roger est abasourdi.
-C’est tout de même un peu radical comme façon de procéder….
-C’est peut-être original, concède Ernest, mais au final, cela voudra dire que la première qui répondra est très motivée et que je lui plais au point d’accepter de se marier avec moi, explique Ernest, et cela est le gage d’une future bonne épouse.

Le silence s’installe à nouveau, le temps pour Roger d’assimiler les informations.
Il reprend son interrogatoire.
-qui sont ces filles ?
-tu ne les connais pas lui assure Ernest
-dis toujours !
La situation lui semble si aberrante que l’énoncé des noms lui permettra peut-être de réaliser qu’il ne s’agit pas d’un canular.
-Elles sont chacune originaires d’un village du coin, il y a Amélie, Hélène et Armelle, énumère posément Ernest
-savent-elles que tu les fréquente toutes les trois ?
-ben non, tout de même ! s’exclame Ernest, chacune vit dans son village et elles ne se connaissent pas !
-tes parents sont au courant ?
-non, je leur présenterai celle que j’aurai choisie quand l’une d’elle aura répondu.
-elle sont jolies ? s’enquiert Roger
-oui, très jolies confirme Ernest, et toutes les trois sont vives et joyeuses. Elles adorent danser aussi.

La pause est terminée. Il est temps de reprendre le travail. Les garçons empoignent leurs faux et rejoignent le groupe.
-Tu me diras le nom de l’heureuse élue…. Si tu as des réponses !! chuchote Roger dubitatif.

Ernest, petit sourire de coin et sûr de lui, se contente de hausser les épaules.

Roger est silencieux, perturbé par le secret d’Ernest. En tous cas, lui, à l’heure de prendre épouse, il est certain que l’élue se présentera comme une évidence…

Armelle fut la première à répondre à la demande en mariage d’Ernest. Les épousailles furent très vite annoncées au grand plaisir de tous….

En recevant la demande, Hélène a pensé que c’était une plaisanterie de mauvais goût et a brulé la lettre ; Amélie a pris le temps, longtemps, de peser le pour et le contre. Lorsqu’elle s’est enfin manifestée pour donner sa réponse positive…. Il était trop tard !

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